Ci-dessous le texte intégral de la Conférence du Père Abbé de l'Abbaye de TOURNAY présenté dans le bimestriel "ENTRE FLEUVE et RIVIERES" |
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IL EST GRAND LE MYSTERE DE LA FOI !
Telle est l’acclamation qui retentit au cœur de chaque Eucharistie, temps et lieu par excellence de l’expression de la foi du peuple chrétien en son Dieu créateur et Sauveur. La foi est donc un grand mystère !
C’est précisément pour que les chrétiens puissent « redécouvrir le chemin de la foi pour mettre en lumière de façon toujours plus évidente la joie et l’enthousiasme renouvelé de la rencontre avec le Christ » que le pape Benoît XVI, à l’occasion du 50° anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, le 11 Octobre 1962, a proposé une « année de la foi » !
Pourquoi une telle proposition ? Benoît XVI s’en explique ainsi : « parce que nous vivons dans un contexte marqué par une crise généralisée qui implique aussi la foi. Soumis depuis des décennies aux assauts d’une sécularisation, faisant sien ce programme de vivre dans le monde comme si Dieu n’existait pas, notre contemporain se retrouve souvent à ne plus savoir se situer. La crise de la foi est l’expression dramatique d’une crise anthropologique qui a livré l’homme à lui-même. »
Parmi les nombreux éléments qui concourent à cette « crise généralisée » il en est un dont il faut d’emblée tenir compte, c’est celui du langage. Question de toujours, certes, mais sans doute plus forte aujourd’hui. Quel contenu dans les mots pour dire « le mystère de la foi » ? Il suffit de faire une brève énumération de quelques mots : Foi, Dieu, Création, Salut, Péché, Trinité, Christ, Eucharistie, Eglise etc.
Si le contenu de la foi doit pouvoir s’exprimer, encore faut-il que chacun puisse adhérer à ces énoncés et que ce contenu conduise à une expérience de « rencontre avec le Christ ». |
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Les mots et les formules avec lesquels l’Eglise dit sa foi. |
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Sujet immense que celui du langage de la foi. Pour prendre une vue d’ensemble de la question, il faudrait voir comment, recueillant les gestes de Jésus, les communautés chrétiennes des origines ont donné forme aux sacrements, comment aussi les disciples de Jésus, reprenant et transmettant le message reçu de Lui, ont créé et développé la formulation de la foi. Il ne faut pas oublier qu’il aura fallu plus de trois siècles pour que l’Eglise, lors des premiers Conciles (Nicée en 325, Constantinople en 381, Ephèse en 431, Chalcédoine en 451) en arrive à formuler sa foi, celle que l’on continue de professer dans le Credo.
Tout un travail a été fait consistant à repérer l’élaboration des formules diverses où s’est exprimée la foi de l’Eglise primitive en Jésus-Christ. Ce travail est celui de la compréhension de ce qu’est pour nous aujourd’hui le Nouveau Testament, œuvre la plus achevée de l’Eglise, celle où elle révèle, sans vaine fierté, ses problèmes et ses réussites, ses conflits et sa solidité, ses peurs et sa foi. Or, le lien qui fait l’unité de tous ces écrits est partout le même : c’est la foi en Jésus Christ. (cf. Jacques GUILLET, Les premiers mots de la foi. Le Centurion – 1977) St Paul a été le grand artisan du développement de ce langage rapidement devenu commun entre les disciples venus du judaïsme (culture sémite) et ceux venus du paganisme (culture hellèniste). La communion dans la foi s’exprime dans une communication dans le langage. Comme exemple, retenons le mot Seigneur : petit à petit ce mot prend toute une force, celle d’une confession originelle Jésus est Seigneur, qui tend à devenir un stéréotype. Ce Christ, vivant au cœur des hommes n’est pas une création, une invention de Paul. Les mots et les formules où Paul exprime sa foi en Jésus Christ ont une réelle valeur dans laquelle on perçoit presque toujours les deux notes distinctes jamais discordantes que sont l’accent personnel de l’apôtre et la dominante profonde de la foi de la communauté. Dès les origines et sans doute encore plus aujourd’hui, la question à laquelle chacun doit répondre personnellement s’énonce en une double formulation : - Quelle compréhension du contenu des mots de la foi ? - Cette compréhension me fait-elle vivre en croyant ? La foi a un contenu révélé exprimé dans un langage ; en ce sens chaque croyant reçoit le contenu de la foi. Ce contenu s’exprime dans un langage et c’est bien ce langage qui ne cesse d’évoluer, non sans poser d’autres questions… Ce fut un des enjeux du Concile Vatican II ; notre époque réclame souvent que le langage religieux s’adapte au monde actuel mais, derrière ce souhait qui a sa part de légitimité, n’y a-t-il pas parfois (souvent ?) le désir de faire l’économie d’une compréhension de l’intérieur de ce qui relève du religieux ? Avec quels mots dire aujourd’hui la Bonne Nouvelle de Jésus Sauveur ?
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Le langage de la foi : au delà des mots. |
Inséparablement de cette démarche sur la compréhension du langage de la foi, il est important de saisir que tout le langage n’est pas réduit aux mots. Le langage de la foi se vérifie dans une « praxis » et dans une « histoire » C’est ce que Benoît XVI souhaite partager avec les chrétiens : « renouveler l’expérience de la rencontre avec le Christ » le Christ que l’Evangile de Jean confesse comme « Parole faite chair » (Jn 1, 14) ! Les mots ne suffisent pas, il faut leur donner « chair » c’est-à-dire les traduire en une expérience cohérente et crédible. C’est pourquoi il serait intéressant de réfléchir au rapport entre « art et foi », l’art étant un des langages disponibles pour dire la foi. |
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Quel sens donner à l’expression courante : « avoir la foi » ou « ne pas avoir la foi » ou encore « avoir perdu la foi ». Dans cette expression la foi apparaît comme un objet que l’on a, que l’on n’a pas, que l’on perd, que l’on retrouve. Et c’est en partie juste, selon ce que la foi a bien un contenu révélé : la foi est don de Dieu. Cela ne suffit pas car encore faut-il que ce contenu rejoigne une expérience, l’expérience du Christ. C’est bien cette articulation qui est essentielle et source de vie. Le donné de la foi que je reçois de Dieu doit devenir source d’une expérience vivante, celle d’une relation, d’une rencontre avec la personne du Christ.
La foi, un acte libre de confiance en Dieu
Le 24 octobre dernier, avec le début de l’Année de la foi, Benoît XVI a initié une catéchèse en commençant précisément par cette question fondamentale : qu’est-ce que la foi ?
D’emblée, en interrogeant : « La foi a-t-elle encore un sens dans un monde où la science et la technique ont ouvert des horizons encore impensables il y a peu de temps ? » ou encore « Que signifie croire aujourd’hui ? » le pape affirmait que « notre époque a besoin d’une éducation de la foi renouvelée qui comprenne bien sûr une connaissance de ses vérités et des événements de la foi, mais surtout qui naisse d’une véritable rencontre avec Dieu en Jésus-Christ, d’un amour pour lui, d’une confiance en lui, au point que la vie tout entière en soit impliquée. » C’est bien dire les deux composantes à ne jamais dissocier : adhérer à un contenu (= les vérités révélées par Dieu et enseignées par l’Eglise. Acte de foi) et faire une expérience. |
Ce sont celles contenues dans la profession de foi, le Credo. Un bon exercice consisterait à les reprendre à tête reposée et de noter en face ce chacune ce qui ne me pose pas de question et ce qui m’en pose. Finalement, quel contenu précis ont les mots qui disent la foi.
C’est le but de tout catéchisme d’expliquer le contenu de la foi :
*Je crois en Dieu, le Père tout-puissant créateur du ciel et de la terre
C’est ce qu’on appelle les « attributs de Dieu »
*Je crois en Jésus-Christ son Fils unique notre Seigneur
Suit alors l’énumération des « mystères de la vie du Christ »
*Je crois en l’Esprit-Saint,
*Je crois : A la sainte Eglise catholique
- A la communion des saints
- A la rémission des péchés
- A la résurrection de la chair
- A la vie éternelle AMEN.
Adhérer au contenu de ces « vérités révélées » apporte-t-il quelque lumière, quelque réponse aux questions d’aujourd’hui ? Dans le contexte de notre monde, certaines questions fondamentales émergent de nouveau, beaucoup plus concrètes qu’elles ne le semblent à première vue : quel est le sens de la vie ? Y a-t-il un avenir pour l’homme, pour nous et pour les nouvelles générations ? Dans quelle direction orienter les choix de notre liberté pour pouvoir mener une vie bonne et heureuse ? Qu’est-ce qui nous attend après la mort ?
On perçoit dans ces questions impérieuses combien le monde de la planification, du calcul exact et de l’expérimentation, en un mot le savoir de la science, bien qu’il soit important pour la vie de l’homme, ne suffit pas. Nous n’avons pas seulement besoin de pain matériel, nous avons besoin d’amour, de sens et d’espérance, d’un fondement sûr, d’un terrain ferme qui nous aide à donner un sens authentique à notre vie même dans les crises, dans l’obscurité, dans les difficultés et les problèmes quotidiens.
Benoît XVI, bien conscient de ce questionnement, prend position : « La foi nous donne justement cela : c’est un abandon confiant à un « Tu » qui est Dieu, qui me donne une certitude différente, mais pas moins solide que celle qui me vient d’un calcul exact ou de la science. »
« La foi n’est pas simplement un assentiment intellectuel de l’homme à des vérités particulières sur Dieu ; c’est un acte par lequel je me confie librement à un Dieu qui est Père et qui m’aime ; c’est une adhésion à un « Tu » qui me donne espérance et confiance. Certes, cette adhésion à Dieu n’est pas privée de contenus : par elle nous sommes conscients que Dieu lui-même s’est montré à nous dans le Christ, a fait voir son visage et s’est réellement fait proche de chacun de nous. Et même, Dieu a révélé que son amour pour l’homme, pour chacun de nous, est sans mesure : sur la Croix, Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu fait homme, nous montre de la manière la plus lumineuse qui soit jusqu’où va cet amour, jusqu’au don de lui-même, jusqu’au sacrifice total. »
« Dans le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, Dieu descend au plus profond de notre humanité pour la ramener jusqu’à lui, pour l’élever à sa hauteur. La foi consiste à croire en cet amour de Dieu qui ne diminue pas devant la méchanceté de l’homme, devant le mal et la mort, mais qui est capable de transformer toute forme d’esclavage, en donnant la possibilité du salut. Avoir la foi, c’est rencontrer ce Dieu qui me soutient et m’accorde la promesse d’un amour indestructible, qui non seulement aspire à l’éternité mais la donne. »
La foi est un don que Dieu offre à tous les hommes. Croire de manière chrétienne signifie cet abandon, cette confiance dans le sens profond qui me porte et qui porte le monde, sens que nous ne sommes pas en mesure de nous donner, mais seulement de recevoir, et qui est le fondement sur lequel nous pouvons vivre sans peur. Et cette certitude libératrice et rassurante de la foi, nous devons être capables de l’annoncer par la parole et de la montrer par notre vie de chrétiens.
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La foi, l'expérience d'une rencontre |
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Mais posons-nous une question : d’où l’homme tient-il cette ouverture du cœur et de l’esprit pour croire en ce Dieu qui s’est rendu visible en Jésus-Christ mort et ressuscité, pour accueillir son salut, en sorte que Jésus et son Evangile deviennent le guide et la lumière de son existence ? La réponse est celle-ci : nous pouvons croire en Dieu parce qu’il s’approche de nous et nous touche, parce que l’Esprit-Saint, don du Ressuscité, nous rend capables d’accueillir le Dieu vivant. La foi alors est avant tout un don surnaturel, un don de Dieu.
Le concile Vatican II affirme : « Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et adjuvante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne ‘à tous la douce joie de consentir et de croire à la vérité’ » (Dei Verbum, 5). A l’origine de notre cheminement de foi, il y a le baptême, le sacrement qui nous donne l’Esprit-Saint, faisant de nous des enfants de Dieu dans le Christ, et qui marque l’entrée dans la communauté de foi, dans l’Eglise : on ne croit pas par soi-même, sans la prévenance de la grâce de l’Esprit ; et on ne croit pas tout seul, mais avec des frères. A partir du baptême, tout croyant est appelé à revivre et à faire sienne cette confession de foi, avec ses frères.
La foi est don de Dieu, mais c’est aussi un acte profondément libre et humain. Le Catéchisme de l’Eglise catholique le dit clairement : « Croire n’est possible que par la grâce et les secours intérieurs du Saint-Esprit. Il n’en est pas moins vrai que croire est un acte authentiquement humain. Il n’est contraire ni à la liberté ni à l’intelligence de l’homme » (CEC, n° 154). Au contraire, il les implique et les exalte, dans un pari de la vie qui est comme un exode, c’est-à-dire une sortie de soi, de ses sécurités, de ses schémas mentaux, pour se confier à l’action de Dieu qui nous indique la route pour obtenir la vraie liberté, notre identité humaine, la vraie joie du cœur, la paix avec tous. Croire, c’est se confier en toute liberté et dans la joie au dessein providentiel de Dieu sur l’histoire, comme le fit Abraham, comme le fit Marie de Nazareth. La foi est alors un assentiment par lequel notre esprit et notre cœur disent leur « oui » à Dieu, en confessant que Jésus est le Seigneur. Et ce « oui » transforme la vie, lui ouvre le chemin vers une plénitude de sens, la rend nouvelle, riche de joie et d’une espérance sûre.
Pour progresser dans la vie spirituelle, il faut consentir à passer, parfois douloureusement, par la porte étroite. Jésus lui-même est passé par la pire des épreuves qui soient.
Comment entrer dans la foi ? Le récit de la Pentecôte donne au moins trois indications :
- La foi est don de Dieu
- La foi bouleverse ma vision du monde en nous faisant voir le monde comme Dieu le voit
- La foi entraîne des décisions pratiques
« La porte de la foi qui introduit à la vie de communion avec Dieu et permet l’entrée dans son Eglise est toujours ouverte pour nous. Il est possible de franchir ce seuil quand la Parole de Dieu est annoncée et que le cœur se laisse modeler par la grâce qui transforme. Traverser cette porte implique de s’engager sur ce chemin qui dure toute la vie. » Benoît XVI Porta fidei, chap. 1 |
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